L’actuelle région Hauts-de-France forme un territoire avec des origines assez contrastées. Jusqu’au XVIIIe siècle, ce territoire est divisé en plusieurs provinces dont les principales sont la Picardie (autour d’Amiens, Saint-Quentin, Boulogne et Calais), la Flandre (autour de Lille et Dunkerque) et l’Artois (autour d’Arras, Lens et Béthune), tandis que l’Île-de-France s’étendait jusqu’à Beauvais, Compiègne et Laon (fig. 1). Encore aujourd’hui, les différences géographiques, culturelles et économiques se retrouvent dans cette délimitation historique et certaines de ces appellations sont encore couramment utilisées. La Révolution française marque la création des départements actuels.

Fig. 1. Anciennes provinces de la région Hauts-de-France.
La position frontalière des Hauts-de-France en a fait une place économique et militaire stratégique. De tous temps, elle fut au cœur d’importants conflits. L’étude des places fortes dans les Hauts-de-France est favorisée par la multiplicité des sites : la région est profondément marquée, pour les périodes médiévale et moderne, par la frontière entre le royaume de France et le Saint-Empire romain germanique. Le roi de France, qui contrôle la partie méridionale de cet espace dès le XIIIe siècle, les grands féodaux (comte de Flandre, duc de Bourgogne) et les puissances étrangères (Angleterre et Habsbourg) se sont souvent affronté et les places fortes ont joué un rôle majeur dans ces conflits. Au semis des places fortes médiévales, illustrées par des sites emblématiques (Boulogne, Coucy-le-Château, Ham, Pierrefonds) bien connus des spécialistes de l’archéologie militaire, car objets de nombreuses études, y compris récentes, s’ajoute la « ceinture de fer », le célèbre réseau mis en place par Vauban, qui a bénéficié d’une attention croissante (cf. l’année Vauban en 2007 et l’inscription de 12 sites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008). En revanche, la période du premier développement des fortifications bastionnées (du début du XVIe siècle à la mi-XVIIe siècle), pourtant illustrée dans la région par de nombreux ouvrages, reste un peu dans l’ombre et c’est l’un des intérêts du PCR que de la mettre aussi en lumière.
Au Bas-Empire, les villes se replient et l’aménagement ou le réaménagement de murailles réduit la superficie des villes pour mieux se défendre (Arras, Cassel, Thérouanne, Cambrai, etc.). Ce phénomène de réduction et de fortification des villes réapparait au cours de l’époque carolingienne, avec la menace scandinave : les rivières (Escaut, Scarpe, Aa) favorisent l’accès aux villes (Gand, Tournai, Cambrai, Arras, Saint-Omer), ports (Quentovic), terres et abbayes (abbayes de Saint-Amand, Saint-Vaast, Saint-Bertin) qui subissent pillages et incendies. Si à l’intérieur des terres, la fortification est seigneuriale et privée (castra), dans les villes, les enceintes sont modestes, à l’exemple de celle de Saint-Omer qui, bien que sommaire, permet de repousser les Normands en 891.
Sur le littoral, apparaissent des bourgs fortifiés (burgi) dont les enceintes circulaires donneront pour longtemps aux villes leur physionomie, à l’image de Bergues. Après le partage du royaume carolingien (traité de Verdun en 843), les grandes principautés vont se multiplier. La fin du premier millénaire voit la multiplication de châteaux d’un nouveau modèle : les « châteaux à motte », à la fois maisons seigneuriales et réduits fortifiés (fig. 2). Ils sont situés au centre des terres, dans des régions boisées, à proximité de passages à protéger et à surveiller. Ils sont constitués de tertres, élevés avec la terre du fossé qui les entoure, d’une palissade et d’une tour en bois, sensibles au feu, et, bien souvent, d’une basse-cour.

Fig. 2. Vue aérienne de la motte féodale de Nesles, dans le Pas-de-Calais (Roger Agache, 1976).
Ces premiers ensembles évoluent rapidement, avec l’avancée des techniques, et les donjons sont agrandis (Douai, Valenciennes, Lille, etc.). Au triomphe du bois succède celui de la pierre. Massivité et hauteur des tours, bouches à feu et meurtrières, créneaux et mâchicoulis, douves larges et profondes sont les caractéristiques de ces fortifications du début du second millénaire.
À la fin du XIIe siècle, sous le règne de Philippe Auguste (1180-1223), apparaît le château philippien, modèle standardisé (fig. 3) : le château présente désormais une enceinte régulière, des tours d’angle, un châtelet d’entrée, une tour-maîtresse, placée à l’angle de deux courtines ou au centre de la cour, quand l’ensemble est plus vaste (Boulogne-sur-Mer, Hardelot, Étaples).

Fig. 3. Vue du château de Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais (Photographie libre de droits, 2011).
Au XVe siècle, la dynastie bourguignonne, prises dans l’engrenage de la guerre, encourage l’artillerie qui entre pleinement dans les méthodes de fortification pleinement inadaptées aux nouveaux modes de guerre : murs des courtines et des tours sont désormais trop hauts pour résister aux tirs directs des différentes pièces de l’artillerie lourde. Afin de gêner la visée des artilleurs, on modernise les vieilles forteresses :
- en leur adjoignant boulevards (levée de terre, parfois maçonnée, placée en avant de la muraille ou devant une porte) (fig. 4), dont l’origine se trouve dans les Pays-Bas, et bastions angulaires (placé à l’angle des remparts pour mieux les flanquer et rattaché à la courtine par un droit ou un saillant arrondi), d’ascendance italienne ;
- en découronnant les murailles et les tours trop hautes qui ne résistent pas aux tirs des boulets de fer ;
- en créant des ouvrages d’artillerie détachés de l’enceinte ;
- en protégeant les approches et les lignes de défenses (tranchées en zigzag, fossé en eau).

Fig. 4. Vue du boulevard de la Porte Méaulens à Arras (Pas-de-Calais), vers 1513 (AD62).
Les trois provinces méridionales des États bourguignons – Artois, Flandres et Hainaut – constituent des territoires largement convoités (terres riches, fertiles et peuplées, artisans à la grande renommée, commerce important dont celui du drap). Leur souveraineté sera dès lors disputée par la couronne de France, aux Bourguignons d’abord, puis aux Espagnols ensuite, afin d’agrandir vers le nord un royaume en constante expansion.
Cette politique d’éloignement de la frontière prend un essor considérable au XVIe siècle. La dynastie des Valois se trouve face à la menace des Habsbourg qui ont désormais la mainmise sur les riches et vastes territoires bourguignons (traité de Madrid en 1526) et place ainsi le royaume de France en tenaille, entre les Pays-Bas au nord et l’Espagne au sud. Le duel entre François Ier et Charles Quint, puis entre leurs successeurs, va marquer durablement le faciès du nord de la France et l’histoire de la fortification régionale, avec, de chaque côté des deux camps, la modernisation des places fortes (Thérouanne, Doullens, La Capelle), les prises et reprises des forteresses (Avesnes, Landrecies, Saint-Quentin), ainsi que les sièges et parfois la destruction des villes (Thérouanne, Vieil-Hesdin) (fig. 5).

Fig. 5. Le siège de Thérouanne (Pas-de-Calais) en 1553 (British Museum, 1970-0131.22).
Dans le nord de la France, la fin du XVIe siècle est surtout marquée par la personnalité de Jean Errard, de Bar-le-Duc, ingénieur au service du roi de France, Henri IV, et précurseur de Vauban. Les places fortes septentrionales sont marquées de manière décisive par l’œuvre de l’architecte : bastionnement assez grand accueillant de nombreux fantassins et peu de canons, aménagement de bastions à orillons aux courtines, de tenailles, de lunettes et de chemins couverts pour protéger courtines et fossés, de cavaliers d’artillerie pour les tirs frontaux, hauteur des murs, etc. Sous son impulsion, les citadelles d’Amiens, de Doullens et de Montreuil répondent désormais à ces critères (fig. 6).

Fig. 6. Plan de la citadelle de Doullens (Somme) au début du XVIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE BB-246 – IX, 105-106)
Au XVIIe siècle, Flandre, Artois et Hainaut demeurent l’objet de toutes les convoitises. Sous le règne de Louis XIII, le royaume de France est menacé au nord par l’infanterie espagnole. Le cardinal Richelieu fortifie Abbeville, Corbie, Péronne, Saint-Quentin et Guise. Mais cette ligne demeure faible : Corbie est prise par les Espagnols en 1636 (fig. 7), la Picardie est ravagée par la soldatesque et Paris est à portée de mains. À travers l’acquisition des Pays-Bas espagnols, Louis XIII et Richelieu souhaitent plus que tout offrir une ceinture fortifiée au royaume : le « boulevard de la France ». La guerre contre l’Espagne s’intensifie et tout est tenté pour s’emparer des Pays-Bas du Sud. Les troupes françaises arrivent à pénétrer en Artois et multiplient les guerres de siège : les places fortes tombent les unes après les autres (Hesdin, Arras, Bapaume). Le milieu du siècle voit la matérialisation d’un front : les Français tiennent une ligne s’étirant de Béthune jusqu’au Vermandois, tandis qu’en face les Espagnols s’appuient sur la Sambre, l’Escaut, la Scarpe, Maubeuge, Landrecies, Le Quesnoy, Bouchain, Cambrai et Douai. Le traité de Westphalie en 1648 ne met pas fin au conflit et la France reste soumise à la pression habsbourgeoise.

Fig. 7. Reprise de Corbie le 14 novembre 1636 (Tableau attribué à Jacques Callot (1836), musée national des châteaux de Versailles et de Trianon).
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les jeunes années du roi Louis XIV sont marquées par la guerre de Flandre. En 1657, Turenne assiège Dunkerque qui capitule l’année suivante et qui est cédée aux Anglais à la suite d’un traité d’amitié avec le royaume de France (fig. 8). Les villes voisines sont conquises les unes après les autres (Bergues, Gravelines, etc.). En 1659, le traité des Pyrénées accorde l’Artois aux Français, amputé de Saint-Omer et d’Aire-sur-la-Lys, mais accru de Bourbourg, Gravelines et Saint-Venant.

Fig. 8. Siège de Dunkerque (Nord) et bataille des Dunes en 1658 (Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE D-14203).
La guerre de Dévolution menée par Louis XIV pour faire valoir les droits de son épouse Marie-Thérèse d’Autriche permet la conquête rapide, en 1667, de la Flandre méridionale francophone. Vauban, ingénieur militaire, prend part aux nombreuses campagnes et prend Tournai et Ath. Le traité d’Aix-la-Chapelle en 1668 livre à la France 12 places fortes et leurs dépendances : Furnes, Bergues, Armentières, Menin, Lille, Douai, Courtrai, Audenarde, Tournai, Ath, Binche et Charleroi. Vauban reçoit l’ordre de consolider cette première ceinture fortifiée en attendant de nouvelles conquêtes. Le traité de Nimègue en 1678 fait tomber dans l’escarcelle française les dernières villes d’Artois, le Cambrésis, Ypres et Cassel, le Hainaut (Bouchain, Valenciennes, Condé, Maubeuge). À partir de cette date, Vauban met en place son Pré Carré qui consiste en une double ligne de places fortes s’étirant de la Mer du Nord à la Meuse, véritable palliatif aux obstacles naturels qui manquent sur cette portion du territoire (fig. 9).

Fig. 9. Le Pré Carré de Vauban au début du XVIIIe siècle (Yves Roumegoux).